À l’attention du Monsieur Olivier Deleuze, Bourgmestre
Par Martin Casier – Conseiller communal – Chef de Groupe PS-Vooruit
18 janvier 2022
Monsieur le Bourgmestre,
L’avenir du Chant des Cailles a déjà été discuté à de nombreuses reprises, que ce soit au sein des institutions publiques, de la société civile ou des médias. Encore ce 16 novembre 2021, le Soir publiait de nouvelles informations sur ce dossier[1] et plus récemment encore lors de notre dernier Conseil Communal et lors d’une interview que vous avez donné à la DH fin décembre.
Comme vous le savez, il nous appartient de mener de front deux combats essentiels et urgents : le combat pour un environnement sain (et donc contre le changement climatique et la perte catastrophique de biodiversité) d’une part et pour le droit au logement d’autre part, qui est une brique évidente du combat contre les inégalités sociales.
Je ne dois pas vous rappeler que plus de 50.000 ménages sont sur une liste d’attente pour un logement social en Région bruxelloise et que nous vivons en parallèle la sixième extinction de masse de biodiversité dans le monde. Bref, il ne s’agit donc pas de choisir une de ces urgences plus que l’autre mais bien de trouver des manières de les mener de front toutes les deux en même temps.
Dans ce contexte et concernant l’urgence de la concrétisation du droit au logement en particulier, il est évidemment que la concomitance des urgences doit nous amener à une réflexion bien plus large que la seule construction de logements neufs. Nous nous devons d’activer toutes les solutions possibles à commencer par la rénovation des logements sociaux aujourd’hui inhabitables – 500M€ ont dégagés à cet effet (c’est historique) –, par la mobilisation des logements vides existants – pour la 1ère fois à Bruxelles, la Secrétaire d’Etat mène ce travail activement –, par la construction de la ville sur la ville, c’est à dire de racheter des bâtiments existants pour en faire des logements sociaux et de transformer des bureaux en nouveaux logements sociaux – la SLRB s’est vu permise de mettre en œuvre ces méthodes et les appels ont donné de très bons résultats et des projets sont en cours à Bruxelles. Mais c’est aussi évidemment à la cause même qu’il faut s’attaquer, c’est à dire aux prix des logements et c’est pourquoi, et c’est une première belge, que la Région bruxelloise s’est doté d’un outil de lutte contre les loyers abusifs.
Vous le voyez, il ne s’agit donc pas – et c’est pourtant encore souvent les critiques que l’on entend – de bétonner de nouveaux espaces.
Néanmoins, si nous voulons atteindre des résultats rapides, nous nous devons aussi de mobiliser, de manière exemplaire en termes d’environnement, les terrains constructibles qui appartiennent déjà à la SLRB ou à une SISP pour pouvoir atteindre efficacement nos objectifs de droit au logement. Et il se fait que le terrain du Champ des Cailles appartient à cette catégorie. C’est un fait objectif. Et il ne suffit donc pas de dire « pas ici mais ailleurs », il faut reconnaître la nécessité d’analyser la problématique dans son ensemble, sous tous ces angles et de dépasser les intérêts particuliers.
A cette hauteur et avant de rentrer dans le vif du sujet, il me paraît nécessaire de rappeler les faits concernant le dossier du Chant des Cailles en tant que tel :
- Le Champ des Cailles n’est pas un terrain public. Il appartient à une coopérative de locataires sociaux : le Logis-Floréal. Ce terrain n’appartient donc ni à la Région, ni à la commune, mais aux 1.735 ménages qui habitent les cités-jardins : c’est leur patrimoine.
- Le modèle coopératif social a une histoire, celle des années 20 et de la classe ouvrière. Cédé en son temps par le CPAS de Bruxelles, ce terrain est estimé à 15M€ et a pour vocation – statutairement, légalement et moralement – de servir l’objet social de la coopérative.
- D’un point de vue urbanistique, le terrain est affecté au PRAS à de l’habitat. Il est donc 100% constructible – même si personne n’a jamais eu ni n’a l’intention de construire 100% de la parcelle.
- En 2013, le gouvernement bruxellois décide – sous l’impulsion de Christos Doulkeridis – de financer via la SLRB la construction de 70 logements sur 1/3 du terrain. Cette décision est validée par vous-même, alors Bourgmestre et Co-président d’Ecolo, au travers du plan logement communal.
- En 2014, le Logis cède une occupation précaire à titre gratuit à la Ferme du Chant des Cailles – dans l’attente de la construction desdits logements. Une initiative citoyenne de transition agroécologique s’y développe.
- Entre 2014 et 2019, le projet de développement de logements est mis sur pause par la Région et l’étude SAULE est réalisée et en 2019, sous l’impulsion des riverains, la commune lance l’élaboration d’un PPAS à l’échelle de l’ensemble du quartier Archiducs. Cette demande est soutenue par tous les partis de la commune afin d’assurer une cohérence à l’échelle du quartier.
- En 2021, les discussions entre le Logis-Floréal (propriétaire), la SLRB (développeur) et la Ferme (occupant) aboutissent à un projet de protocole d’accord qui s’appuie sur les principes suivants : 100% des activités maraîchères préservées sur 3/4 du terrain ; constructions légères exemplaires – préservation des capacités d’infiltration du sol, augmentation de la diversité biologique du lieu, minimisation de la durée et de l’impact du chantier, construction en ossature bois… – sur 1/10 du terrain ; abords partagés avec les activités agricoles. Cet accord permettrait donc à la fois de préserver les activités du la Ferme mais aussi de conserver plus de 25.000m2 d’espace vert et d’ilôt de fraicheur à destination de tous les habitant.e.s du quartier. Celui-ci prévoit enfin le développement d’un réel projet de cohésion sociale accessible à tous, en lien avec les locataires des cités-jardins, un marché ouvert à tous et le retour de min 50% de la production aux écoles, crèches et maisons de repos du quartier.
- En juillet 2021, le protocole est rejeté par la Ferme qui ne s’oppose pas formellement à des constructions mais renvoie l’analyse de l’opportunité et la responsabilité de la décision aux politiques régionaux et communaux. Par ailleurs, la Ferme rejette le modèle économique proposé qu’elle qualifie de « dépendances aux fonds publics », « contrôle de sa gouvernance » et « contrôle unilatéral de son économie ».
- Pour rappel dans ce cadre, le projet de la Ferme s’appuie sur une mécanisme d’abonnements sur liste fermée pour accéder à la production – entre 280€ et 450€ par an. 610 personnes sont ajourd’hui sur la liste d’attente. Outre la gratuité du terrain, la Ferme est subsidiée 20K€ par la Région.
- En août 2021, pour donner suite à la décision de la Ferme, la Région sollicite à nouveau la commune pour identifier les modalités de collaboration. La commune refuse en argumentant qu’un PPAS est en cours d’élaboration.
- En décembre 2021 comme nous en parlions lors de notre dernier Conseil, la commune suspend sine die l’élaboration du PPAS « en raison du désaccord avec la Région ». Aucun accord ou désaccord n’existe puisqu’aucune discussion n’a eu lieu. En réalité, le bureau d’études mandaté par la commune a conclu – sur base d’un rapport d’incidences environnementales – que la meilleure option de développement à l’échelle du quartier passe par l’urbanisation d’une (petite) partie du Champ des Cailles. C’est donc pour s’opposer aux conclusions de votre propre bureau d’études que la vous suspendez l’élaboration du PPAS et ce, malgré le fait que vous pilotez son comité d’accompagnement depuis 3 ans. Comme vous nous avez dit en Conseil communal « ce scénario ne me va pas »… Ca en dit long.
Voilà donc pour le contexte et pour les faits.
Dans votre interview donné à la DH à la fin du mois de décembre, vous nous apprennez deux choses : (1) « laisser passer le temps » ou le « status quo » est selon vous une conviction politique et (2) le Champ sera une ZAD comme « Notre-Dame-des-landes » et « la commune sera du côté des zadistes ».
Pour vous donc, une occupation à titre gratuit d’un terrain appartenant aux locataires sociaux de notre commune par une asbl qui privatise le produit de ses activités par abonnement de 450€ par an, est un status quo acceptable. Dont acte.
Pour vous donc, agir comme commune et pouvoir public pour soutenir des occupations illégales qui s’opposeraient à ce qu’on bâtisse 1/10 d’un terrain qui appartient à des locataires sociaux alors même que 9/10 restent affectés à l’agriculture urbaine, est juste et légitime. Dont acte.
Alors je me dois de vous dire que non, bâtir 1/10 de 3ha pour accueillir 70 ménages en attente d’un logement social en poursuivant un projet d’agriculture urbaine à vocation sociale, ce n’est pas construire un aéroport de 1.650ha et les implications environnementales qui vont avec.
Plus encore, comparer les 2, en mobilisant l’imaginaire militant de l’écologie politique, ce n’est pas rendre justice à cette dernière. C’est au contraire se faire le porte-parole d’une écologie politique passéiste qui abandonne sa responsabilité politique au « temps qui passe ».
Comme je ne cesse de le dire depuis maintenant plus d’un an, il existe une autre voie que d’imposer une opposition stérile entre les gens et les projets. Ouvrons cet espace de dialogue et assumons la responsabilité que les citoyens nous ont confié.
Fort de ces considérations, j’aimerais vous poser les questions suivantes :
- A la lecture du PV du CA du PPAS du 28.10 lors duquel le scénario préférentiel est proposé, force est de constater que la Commune ne s’y oppose pas et même qu’elle propose de consulter la CRMS pour avancer. Pouvez-vous donc expliquer pourquoi la commune a fait volte-face sur cette question ? Pouvez-vous également nous rappeler le coût global engagé par la Commune à ce stade pour sa réalisation ?
- Maintenant que vous avez mis le PPAS « sur pause » (ce sont vos mots) et que son déroulé était la raison de votre refus de participer aux réunions de concertation mises en place par la Secrétaire d’Etat et que vous appelez de vos vœux une meilleure concertation, pouvez-vous nous confirmer que vous allez maintenant enfin vous mettre à la table des discussions avec le Secrétaire d’Etat ?
- Dans ce même cadre et au vu de l’ensemble du contexte et des faits que j’ai développé plus haut, comment justifiez-vous que votre position de « zéro logement » sur le Champ soit une position qui défende l’intérêt général et non des intérêts particuliers ?
- Par ailleurs quand vous évoquez la ZAD que devriendrait, selon vous, le Champ, de quelle ZAD exactement parlez-vous ? Je n’ai, à part vous, entendu personne, ni même les acteurs de la Ferme, évoquer cette formule. Plutôt, à l’inverse, les conclusions des acteurs de la Ferme concernant la construction étaient de rappeler qu’il s’agit d’une décision politique et qu’ils renvoyaient la balle vers le politique. Ils ne s’opposent donc pas sur le principe de construction.Vous seul évoquez une ZAD… Dois-je en conclure que vous l’organiserez vous-même ? Enfin, pouvez-vous nous confirmer que le soutien aux ZADistes que vous évoquez est bien une position officielle de l’ensemble du collège ?
- Comme évoqué également lors de notre dernière séance et malgré vos accusations de « chantage » et vos propos d’« eau qui coule sur [vous] comme l’eau sur un canal », le Ministre-Président me confirme bien, suite à une question écrite que je lui ai adressé que les articles 81 et 82 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire pourraient bien s’appliquer directement à la Commune. S’il faut indemniser la SISP du Logis-Floréal pour le terrain, les conséquences budgétaires – que l’on peut estimer à 15.000.000€, soit plus de 1.000€ par ménage installé dans notre commune – pour les finances de la commune ne seraient-elles pas démesurées, surtout quand l’on sait que de nombreuses infrastructures, comme les trottoirs, mériteraient d’être rénovées et que le budget nécessaire n’est, pour ces projets-là, pas débloqué ?
- De manière plus générale, quelles sont maintenant les prochaines échéances concernant le dossier Chant des Cailles ? À quel calendrier pouvons-nous nous attendre ?
Je vous remercie pour vos éclaircissements et vos réponses,
[1] https://www.lesoir.be/406536/article/2021-11-15/bruxelles-des-logements-ou-de-lagriculture